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Définition et présentation du management de risque et gestion de crise

Management des risques et gestion de crises : cette thématique est destinée à donner les outils et concepts nécessaires pour analyser la stratégie d’une organisation, comprendre ses problématiques stratégiques et participer à la mise en oeuvre de sa politique générale (analyse concurrentielle, stratégies de domination, différenciation, focalisation). Sont également abordées les différentes orientations stratégiques ( spécialisation, diversification, internationalisation, alliance, offensive, défensive)…

Introduction de mémoire : Le management du renseignement dans la gestion de crise

Mots clés : gestion du risque, gestion de crise, crise naturelle, crise industrielle, crise sociale, crise sanitaire, intelligence informationnelle, datamining, intelligence économique, coopération public-privé,  intelligence stratégique,  renseignement, support décisionnel, transformation de l’information.

« Comment sortir de la crise des gilets jaunes ?», question lancinante reprise par les médias français depuis le 17 novembre 2018. Associée aux termes « d’incertitude » (1) , « d’étonnement », de « surprise » (2) , cette crise interroge les décideurs de notre société contemporaine sur leurs capacités à savoir ce qui se passe, à comprendre et à gérer une crise.
Patrick Lagadec, chercheur français spécialisé dans la gestion du risque et de la crise, définit la crise avec une approche systémique comme « ce qui submerge violemment, déstructure et introduit brutalement une césure dans les habitudes et les modes de fonctionnement de multiples acteurs ».
L’institut national des hautes études de sécurité et de justice précise qu’il s’agit « d’une déstructuration rapide de tous les repères, une dérégulation des mécanismes et des réactions habituelles provoquant une incapacité grandissante à maîtriser l’incertitude ». L’organisation n’est alors plus capable de faire face à un événement ou à une chaîne d’événements impactant fortement son existence ou ses objectifs au moyen de ses instruments ordinaires, quotidiens, de management et d’expertise. Il peut s’agir de crise naturelle (ouragan Irma en 2017), industrielle (affaire diesel gate de Volkswagen en 2015), sanitaire, sociale (mouvement des gilets jaunes (cf. annexe 1) débuté en 2018), politique, de conflit armé, d’attentat, … Elle est à différencier de ce qu’Eric Delbecque, expert en intelligence économique et stratégique, appelle « les fausses crises » dont l’actualité est encombrée. Il s’agit de toutes les affaires fortement médiatisées ne constituant que des « tempêtes dans un verre d’eau », sans dimension de transition et de changement brutal de l’organisation comme on l’entend à travers le terme de crise.

Notre société évolue au rythme de bouleversements mais ceux-ci ne sont pas tous constitutifs de crises et lorsque c’est le cas, elles ne sont pas plus graves ou plus nombreuses qu’auparavant. En revanche, elles comportent des dimensions nouvelles, fruits des mutations et des évolutions sociétales. Elles se multiplient dans l’espace public et privé, dans l’espace physique mais également au sein de l’espace numérique. Ce dernier constitue un terreau et un vecteur de propagation de nos crises ajoutant des aspects très complexes à prendre en compte dans le dispositif de résolution de celles-ci. En outre, les crises s’incarnent à travers l’hyperviolence anarchique déployée lors des actes terroristes ou lors de mouvements de contestations auxquels participent des individus radicalisés qui agissent de manière désorganisée, non structurée et donc difficilement prévisible.
C’est ainsi par exemple que plusieurs épisodes violents émaillent le mouvement des gilets jaunes depuis ces derniers mois surprenant les décideurs, accusés de ne pas suffisamment anticiper, prêtant le flanc à la critique du dispositif de renseignement. Au V° siècle avant J-C, déjà, Confucius déclarait que « celui qui ne prévoit pas les choses lointaines s’expose à des malheurs prochains » plaçant ainsi la connaissance et l’anticipation acquises grâce aux renseignements comme étant les clés de la gestion de crise.
La gestion de la crise permet de préparer et d’analyser de manière prospective les réactions de l’entreprise ou des pouvoirs publics pour surmonter l’événement dans le but d’en réduire la gravité grâce à un mode de gouvernance établi. Cette notion englobe tous les temps de la crise : de la phase préliminaire (détection des signes précurseurs) en passant par la phase aigüe avec la survenance de l’élément déclencheur jusqu’à la phase de cicatrisation. Tout au long de ce processus, le renseignement a une place majeure. Pour autant, cette étude, se cantonnera à la période de la crise en cours (après le déclenchement et avant la sortie) pour analyser le renseignement comme une fonction utile à la résolution de la crise et non pas seulement à la préparation ou à l’évitement de celle-ci.

Le but du renseignement est de répondre aux questions que se posent les décideurs mais également de transformer l’information en support décisionnel. « Apportez-moi l’information dont j’ai besoin, au moment où j’en ai besoin, et si possible, sans que j’en fasse la demande » (3). Pour cela, il est essentiel d’obtenir une capacité à comprendre et résoudre les problématiques d’acquisition et de transformation de l’information en connaissance opérationnelle, c’est-à-dire orientée vers la décision et l’action malgré l’avalanche d’informations et l’instabilité de l’environnement propres aux situations de crise en cours. C’est ce que l’on appelle « l’intelligence informationnelle ». Les difficultés rencontrées pour obtenir le savoir tiennent à la fois à un manque d’orientation des capteurs, à la complexité des canaux de remontée de l’information, aux outils et process peu adaptés, à un manque de culture des acteurs de la gestion de crise ou à leur cloisonnement.
Le renseignement couvre toutes les missions de recherche d’informations demandées par un décideur. La démarche du renseignement a pour but de percevoir au plus tôt les évolutions afin d’en tirer avantage, de connaître les intentions d’éventuels rivaux afin de les déjouer. Au profit d’un État, les services de renseignement permettent de remplir trois missions : « savoir », « comprendre » et « agir », qui correspondent chacune à des métiers différents et font appel à des savoir-faire distincts.

La fonction renseignement, longtemps marginalisée à cause de son image négative associée aux services de renseignement notamment avec l’affaire Dreyfus et plus récemment lors des scandales des « écoutes » destinées à espionner les hommes politiques, est désormais identifiée comme une fonction stratégique pour la France. Le renseignement implique une dimension de « secret » et induit la notion « d’intrusion » venant à l’encontre respect de la vie privée et des libertés individuelles d’un Etat de droit.
Aujourd’hui, la notion même de renseignement évolue, il n’est plus le seul apanage des services étatiques. Même si le monde de l’entreprise française est encore réticent à utiliser cette terminologie au regard de la culture francophone qui appréhende cette matière sous le prisme suspect de la clandestinité, il parvient tout de même à se développer. Le datamining, l’intelligence économique et le business model plaçant la collecte et l’analyse des données au centre de l’activité entrepreneuriale attestent de cette mutation. Il convient donc de définir plus précisément cette notion de renseignement afin de bien en saisir les enjeux managériaux publics et privés.
L’intelligence économique consiste en la connaissance de l’environnement de l’entreprise nécessaire à son développement, dans une démarche active de conquête de marchés et dans une démarche défensive de protection de ses intérêts. L’entreprise est pleinement confrontée aux crises qu’elles soient liées aux mouvements sociaux, aux défaillances de production, à l’atteinte à l’image ou encore aux aspects financiers. Le dirigeant a donc également besoin d’un renseignement efficient pour sortir des situations complexes auxquelles il est confronté.
Plus qu’une simple information qui se définit comme une donnée, un message qu’on transmet, le renseignement s’obtient à l’issue d’un processus définit permettant d’aboutir à de « l’information consolidée ». C’est une information qui enseigne quelque chose à quelqu’un. Mais il n’est pas non plus un simple enseignement, car il ne vise pas la formation des gouvernants. Il est au contraire lié à l’action : il est « ciblé ». Il vaut par et pour l’action. Classiquement, il repose sur le modèle du cycle du renseignement. Celui-ci représente une approche planifiée du management de l’information qui part de l’expression d’un besoin, passe par une animation des ressources devant remplir les missions de recherche, traitement et analyse, puis se termine par la diffusion des informations validées et considérées comme fiables. Ce modèle est né de la bureaucratisation du renseignement au 19ème et 20ème siècle. Il s’agit essentiellement d’un traitement documentaire nécessaire à la planification stratégique et à la conduite opérationnelle. S’il s’adapte parfaitement au concept de veille se définissant comme la recherche et l’exploitation d’informations documentaires, ce modèle est inadapté à la réalité des situations de crise. En effet, le renseignement en situation de crise vise l’analyse de phénomènes d’actualité et des oppositions envisageables à court terme. Il s’inscrit dans le présent ainsi que dans un futur proche.
Comment coordonner, orienter et organiser l’exploitation du renseignement pour en faire un support de décision efficace permettant d’agir et de sortir d’une crise ? Cette problématique revient en fait à répondre à une série de questions : comment savoir ? comment analyser ce savoir ? comment l’utiliser pour gérer la crise ?
Il convient de s’interroger sur de nouveaux process plus adaptés au contexte de la gestion de crise. Manager le renseignement implique une dimension politique puisqu’il faut définir les objectifs de la gestion du renseignement et une composante organisationnelle visant la planification et la répartition des tâches. Il possède également des composantes juridiques et de sécurisation des données, une composante tenant aux ressources humaines, une composante d’animation et de soutien à travers la réalisation d’outils méthodologiques et enfin, il nécessite une activité de contrôle et d’évaluation.
La majeure partie des travaux de recherche sur le renseignement s’intéresse essentiellement aux pratiques de recueil et à son utilisation politique. L’exploitation, qui désigne l’ensemble des mécanismes mis en œuvre dans la fonction renseignement, reste la fonction la moins étudiée.
Pourtant, confrontée au bouleversement méthodologique imposé par des contraintes opérationnelles en situation de crise ainsi qu’aux technologies de l’information en pleine expansion, cette discipline connaît d’importantes mutations. Il est alors indispensable de doter la fonction renseignement d’outils méthodologiques nécessaires au développement d’une véritable culture capable de s’étendre aux domaines privé et public.
L’objet de la présente réflexion est de déterminer dans quelles mesures le fait d’améliorer l’organisation des modes de transmission et d’analyse des informations, que ce soit dans le monde de l’entreprise ou dans les services publics, pourrait répondre à l’expression croissante du besoin fondamental de renseignement des décideurs afin de faire face à une crise.
Tout au long de cette recherche, les objectifs sont de comprendre en quoi les crises nécessitent une consolidation et une évolution de la fonction renseignement et quels sont les mécanismes à mettre en œuvre pour l’optimiser dans ce contexte particulier.
En 2019, en pleine crise sociale et politique française où la contestation sociale est désorganisée, violente et s’inscrit dans la durée, la consolidation de la place du renseignement par les acteurs publics et privés confrontés à de nouveaux défis apparaît nécessaire (I). Pour atteindre l’objectif de sortie de crise, dans ce contexte contraint, cette consolidation doit s’accompagner de la mise en place d’un management efficace du renseignement passant par une démarche pro-active et collective permettant de maîtriser les sources d’information [savoir], d’analyser et l’exploiter des flux d’informations (II). Ceci, en prenant en compte les impératifs de protection des libertés individuelles inhérents à notre société contemporaine (III).

(1) « Gilets jaunes : nouvelle manif pleine d’incertitudes » Une du journal Ouest France du 30 décembre 2018.
(2)« Gilets jaunes : une manifestation surprise à Paris », « gilets jaunes : soudain retour de la violence » Le figaro le 17 mars 2019.
(3) PRAX Jean-Yves. Le manuel du knowledge management – mettre en réseau les hommes et les savoirs. Paris : Dunod, 2019. 432 p

 

Auteure : Julie PARENT, auditrice de la 6ème promotion

Introduction de mémoire : La protection des voyageurs d’affaires et des expatriés. Karachi 2002, vingt ans après, comment l’Etat et les entreprises en ont tiré les conséquences.

Mots clés : sûreté et expatriation, sécurité et expatriation, enlèvement,
kidnapping, attentat terroristes, coopération publique-privée, Karachi.

– A. INTRODUCTION

A.1. Préambule

Périmètre de cette étude : nous n’aborderons pas les mobilités ni les emprises concernant les Armées et les services spéciaux.

L’internationalisation, l’expatriation : facteurs clés de succès. La mondialisation supprime les frontières entre les marchés, afin de favoriser la circulation des biens, des services et des capitaux. Cette multinationalisation des activités et des carrières individuelles est la conséquence d’un nombre croissant de mobilité de cadres qualifiés vers les marchés à l’étranger. Au coeur de la mobilité internationale, l’expatriation est devenue un facteur clé de succès 1 , à la fois pour les organisations qui internationalisent et pour les personnes attentives à leur développement personnel et à la progression de leur carrière.

Avoir une opportunité d’expérience à l’international est une des principales causes de motivation pour un jeune de rejoindre une organisation. Et dans le même temps, les organisations procèdent au repérage des cadres susceptibles de prendre un jour des responsabilités. Le succès ou l’échec des stratégies de ces multinationalisations dépend des capacités et compétences de leurs personnels, des motivations et des freins (une sécurité non perçue peut être un frein) qui peuvent encourager ou démotiver les cadres à accepter une mission à l’étranger, de leur adaptation ou inadaptation culturelle.

Selon les dernières données fournies par le ministère des Affaires étrangères 2 , 2,5 millions de Français vivent à l’étranger et seulement près de 1,8 million sont inscrits au registre des Français établis hors de France. Selon l’Institut National de la Statistique et d’Etudes Economiques (INSEE) 3 : La présence française à l’étranger est difficile à mesurer en raison  de l’absence de définition institutionnelle. Les différents termes utilisés le montrent : expatriés, « Français » établis hors de France, « Français » de l’étranger, ressortissants français à l’étranger.L’INSSE estime le nombre de Français qui vivent à l’étranger entre 3,3 et 3,5 millions de personnes.

La diversification des risques.
Un contexte international se caractérise par une diversification des risques et une généralisation de l’insécurité. Que l’on soit en Afrique, en Amérique latine ou en Asie, beaucoup de gouvernements ne sont plus capables de contrôler l’évolution des événements sur les territoires dont ils ont la responsabilité. Ces faillites entraînent une augmentation de l’insécurité, ainsi que la multiplication de « zones grises »,  espaces à risque hors de tout contrôle du droit international laissant le champ libre aux organisations de type mafieux et terroristes. Depuis le début des années 1990, de nombreux acteurs économiques intervenant dans les pays en voie de développement se retrouvent dans des situations où ils doivent assurer eux-mêmes l’essentiel de leur sécurité pour faire face à deux dangers particulièrement préoccupants : les enlèvements et les attentats terroristes. Un prétexte
facile pour extirper directement de l’argent par le biais du kidnapping. Le phénomène a pris une telle ampleur que de nombreuses compagnies d’assurances ont été contraintes de couvrir ce type de risque.

Les attentats de 2001 ont été l’occasion pour beaucoup d’acteurs économiques de prendre conscience de la vulnérabilité de leurs sites et de leurs activités à l’étranger, face à l’acuité de la menace terroriste anti-occidentale. La mutation du terrorisme islamique. inscrit les activités touristiques, les entreprises occidentales et leurs représentants parmi ses cibles. préférentielles. Les hommes d’affaires et. les touristes sont de plus en plus soumis à des agressions dans les pays dans lesquels ils se rendent.

Ces nouveaux risques sont fréquemment désignés au sein des entreprises sous le vocable de Security Risk Management (gestion des risques liés à la sûreté). Les cibles de ces premiers attentats étaient toutefois trop ouvertement américaines pour que cela soit pris en. considération dans l’hexagone.

L’attentat de Karachi, un électrochoc.

La prise de conscience a lieu à la suite des événements du 8 mai 2002 au Pakistan 4 avec l’attentat de Karachi. A la suite d’un dépôt de plainte des familles, la responsabilité de l’employeur a été reconnu en raison d’une faute inexcusable envers ses salariés victimes. Par cet arrêt, les magistrats ont confirmé l’obligation générale de sécurité et de résultat incombant aux employeurs, engageant désormais leurs responsabilité civile et/ou pénale. La jurisprudence précise que : « le manquement à cette obligation (de sécurité) a le caractère d’une faute inexcusable […] lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ».

A la différence des aléas « classiques » que les assureurs savent évaluer, il s’agit là de risques intentionnels et organisés. Il existe par ailleurs de plus en plus de phénomènes naturels ou pandémiques imprévisibles. Dès lors, le rôle des directions sûreté sera davantage intégré dans les projets de l’activité économique. Il est indispensable que les personnes qui sont amenées à voyager soient correctement informées et préparées afin d’être à même d’assurer leur sécurité dans un environnement incertain.

La compétition économique se fait à l’international.

Dans ce contexte d’hyper-compétition et de crise, les entreprises sont obligées d’aller chercher des relais de croissance à l’extérieur. Le risque zéro n’existe pas, mais pour réduire le risque au minimum, elles mettent en place des mesures de protection adaptées à leurs salariés et à leurs installations. Cette nécessité de sécurisation est d’autant plus grande que le seul fait d’envoyer un salarié dans un lieu « exposé » engage la responsabilité de l’employeur. En plus de la responsabilité juridique, s’ajoute une responsabilité éthique imposant aux entreprises françaises de secourir de la même manière l’ensemble des salariés quelques soient leurs nationalités et leurs situations sociales. Malgré cette prise de conscience, dans les années 2010, la France est le pays occidental qui a le plus d’otages à l’étranger 5 (sept touristes et leurs familles enlevés au Cameroun, un ingénieur expatrié enlevé au Niger, deux voyageurs d’affaires enlevés au Mali, cinq employés d’une même entreprise enlevés au Niger).

Menaces sur les emprises diplomatiques françaises.

Cette prise de conscience concerne également le corps diplomatique. Depuis 2013 avec le déploiement de l’opération Serval au Mali, le niveau de menace est plus élevé contre les intérêts français. Le Quai d’Orsay s’est adapté en créant une Direction de la sécurité diplomatique pour la protection des serviteurs de l’Etat, des ambassades, des écoles et centres culturels dépendant du ministère des Affaires Etrangères. Les emprises diplomatiques françaises, sous la menace d’attaques terroristes, ont fait l’objet d’un événement le 2 mars 2018 au Burkina Faso, à Ouagadougou où l’ambassade de France a été ciblée 6 au cours de deux attaques simultanées.

Les frontières, les partenariats possibles entre les sphères publiques-privées.

Les entreprises internationales font appel aux services de sociétés de sécurité privée pour protéger leurs salariés. Cependant, en cas de menace imminente, une intervention de l’Etat peut s’avérer nécessaire. Des efforts d’échanges sont développés entre les entreprises et le Centre de crise du ministère des affaires étrangères. Contrairement au modèle anglo-saxon, la sécurité en France est encore vue comme relevant des fonctions régaliennes de l’Etat 7 . Une méfiance subsiste des services de l’Etat à l’encontre du secteur privé notamment dans le domaine de la gestion de crise, probablement car ces sociétés sont animées par des considérations commerciales. Cependant pour les firmes internationales, de meilleurs partenariats entre les sphères publiques et privées des acteurs dédiés à la sûreté à l’international peuvent aboutir à une meilleure protection des salariés expatriés et des voyageurs d’affaire. Un bon exemple de cette coopération publique-privée, dès le début de la pandémie du COVID-19 à Wuhan, le réseau diplomatique a mis en oeuvre des solutions en externalisant avec une entreprise d’assistance privée 8 afin d’affréter trois avions et de recruter les équipes médicales qui ont assuré l’évacuation des français présents en Chine.

A.2. La jurisprudence Karachi

S’agissant d’une affaire complexe, nous n’aborderons ni le volet financier ni le volet politique.

Nous traiterons des faits qui ont conduit au jugement Tribunal des Affaires de Sécurité Sociales rendu en 2004 et aux conséquences pour les entreprises.

Les faits, le 8 mai 2002 à Karachi.

Le 8 mai 2002 dans la ville de Karachi au Pakistan, des employés expatriés de la Direction de

Constructions Navales (DCN) sont victimes d’un attentat à la bombe alors qu’ils se rendent sur leur site de production à bord d’un bus au service de la société française. Onze salariés français expatriés décèdent lors de l’explosion du bus et douze autres techniciens sont blessés. Dans cette affaire, il est reproché aux dirigeants de l’entreprise de ne pas avoir fait le nécessaire pour garantir la sécurité des employés alors que les menaces au sein de ce pays étaient connues.

L’entreprise n’a pas pris en compte un ensemble de signaux faibles 9 : le 23 janvier 2002, un journaliste américain, est enlevé dans cette même ville de Karachi, puis abattu par ses ravisseurs. Quelques jours plus tard seulement, l’un des cadres de la DCN est victime d’agressions et d’un vol de données confidentielles. Il s’agit de deux situations dont la DCN avait été avertie. Par ailleurs, la participation de la France à la coalition internationale antiterroriste

(Al-Qaïda) faisait craindre des réactions contre les intérêts français. Enfin, la DCN avait procédé au rapatriement de ses expatriés suite aux attentats du 11 septembre, avant de les réexpédier plus tard. La DCN aurait dû avoir conscience des risques d’attentats et les intégrer dans ses dispositifs de sûreté. Cette absence de conscience de danger constitue une faute inexcusable. En ce qui concerne les mesures prises par la DCN, les salariés étaient accompagnés par un garde pakistanais armé. En plus de cela, le bus effectuant le transfert des salariés devait emprunter des itinéraires différents chaque jour. Toutefois, l’absence de contrôle a conduit à une routine, le bus partait à la même heure et utilisait à peu près toujours la même route pour rejoindre le lieu de travail. En 2003, les familles des victimes intentent une action en responsabilité à l’encontre de la DCN devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale (TASS) de la Manche en se fondant sur l’existence d’une faute de l’employeur. Karachi fait apparaître le risque juridique des entreprises et des dirigeants. 

Le Tribunal rend sa décision le 15 janvier 2004 : il retient un accident du travail engendré par une faute inexcusable de l’employeur, qui n’avait pas pris toutes les mesures nécessaires pour la sécurité de ses salariés alors qu’il était conscient des risques encourus dans ce pays.

La jurisprudence Karachi fait apparaître le risque juridique pour une entreprise en matière de violences criminelles à l’encontre des expatriés. Les juges font un grand pas en rendant applicable la législation spécifique aux accidents du travail à une exposition des salariés à un attentat terroriste. En effet, il est alors retenu par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale que l’accident du travail est caractérisé, les salariés étant en chemin pour leur travail, à bord de la navette mise en place par l’entreprise. Les salariés étaient donc au moment de l’attentat sous la responsabilité de leur employeur. La faute inexcusable de l’employeur.

Les victimes et leurs ayants droits obtiennent une indemnisation intégrale de leurs préjudices grâce à l’admission de la faute inexcusable de l’employeur. Pour admettre l’existence de cette faute importante de la part de l’employeur, les juges se fondent sur le principe de l’obligation de sécurité de l’entreprise vis-à-vis de ses salariés, selon laquelle : « En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les accidents du travail, le manquement à cette obligation ayant le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L452-1 du Code de la Sécurité Sociale 10 , lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ». Ce fondement juridique est né de la jurisprudence relative aux cas de l’amiante 11 et repris par l’article L4121-1 du Code du travail 12 : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent (1) des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1, (2) des actions d’information et de formation, (3) la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. » Il en ressort toutefois que, pour retenir la faute inexcusable à l’égard de l’employeur, il faut pouvoir apporter la preuve que celui-ci « avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié ». En l’espèce, il pouvait facilement être démontré que le dirigeant ne pouvait ignorer les menaces faites à son entreprise et ses salariés, ce type d’évènements s’étant répétés auparavant et ayant été portés à la connaissance de tous.

Les conséquences de la jurisprudence.

L’impact aujourd’hui de la jurisprudence Karachi : la responsabilité civile d’un dirigeant, la responsabilité morale des entreprises et la faute inexcusable ont permis l’extension de la responsabilité de l’employeur dans le cadre de la mobilité internationale de ses salariés. En raison du contexte, l’employeur aurait dû prévoir l’hypothèse d’une attaque terroriste à l’encontre de ses salariés. En conséquence, l’employeur est désormais soumis à une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne la protection de ses salariés expatriés et détachés.

Nous noterons que la DCN ne fait pas appel de la décision tant elle apparait claire.

 1 Jean-Luc CERDIN, L’expatriation, 2ème édition, Ed. Editions d’Organisations, 2001

2 JORF n°0018 du 22 janvier 2020 – Décret n° 2020-33 du 20 janvier 2020 authentifiant la population des Français établis hors de France au 1er janvier 2020

3 Rapport public de madame la députée Anne GENETET : La mobilité internationale des Français – 12 septembre 2018 – page 30

4 Antoine VILLAIN : L’affaire Karachi et ses conséquences en matière de sûreté d’entreprise, Géopolitique et Affaires Internationales – 20 juillet 2011

5 Agence France Presse – France 24 – 20/02/2013

6 Burkina Faso : l’ambassade de France visée, 30morts

7 Art. 12 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789

8 LES ECHOS W-E – le 3 avril 2020

9 Thierry GARCIN : La fragmentation du monde – Ed. Paris Economica 2018 – page 278

10 Article L452-1 du Code de la Sécurité Sociale

11 Jurisprudence en matière d’amiante et la responsabilité des dirigeants, à titre d’exemple : Cassation, chambre sociale, 28 février 2002, n°99-17201

12 Article L4121du code du travail

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